Stop ou Encore?

Publié le par Le Gros Loulou

Remarques sur Encore de Jacques Maîtrot

Ceci est une réaction à froid. A -15°C (notre équipe s’est rendue à Malakoff un jour de grand froid et le garage n’est pas chauffé…). Il faut bien dire que le climat n'était pas franchement favorable. Après une heure passée dans ce garage, on ne sait plus si l'hostilité nous vient de l'endroit, du discours des artistes, ou des oeuvres. D'un point de vue scénographique, il semble que certaines oeuvres soient moins mises en valeur que d'autres. On a beaucoup aimé l'idée de se retrouver "dans la configuration de se faire couper la tête". La force de cette installation, son côté impressionnant et dérangeant révélait bien l'engagement de l'artiste. Dommage qu'on n'ait pu tester plus longuement le dispositif. Nous avons pu interroger Jacques Maitrot, mais on a quand même été gênées par plusieurs points de son discours. L'artiste nous parle de "la misère des femmes, de beauté standardisée, de femmes maltraitées, de mutilations". On a la sensation d'un profond amalgame. Il accumule dans un même discours différentes cultures, époques, milieux sociaux, enjeux, conséquences. Peut-on montrer d'un doigt, à travers une vidéo un sujet aussi vaste que la condition de la femme et les standards de la beauté? L'artiste explique son titre: ""Encore", cela continue, "encore", « remettez-en"."Encore" mais plus juste.

 Milou et Fulbert cava

Une porte de fer à moitié fermée,un garage désaffecté de Malakoff, le lieu d'exposition est peu commun... En entrant, on est confronté à de grandes oeuvres percutantes et complètement différentes les unes des autres. Mais ce qui attire notre attention, outre la video projection sur la Bande à Bader, ces toiles duveteuses aux silhouettes d'enfant, dans un coin, deux cabines complètement fermées d'un rideau noir duquel dépassent deux casques. Ca semble louche, mais qui ne serait pas attiré? L'une d'elles est intitulée Encore, et le casque est posé sur un creux prévu pour notre tête en haut d'un panneau en bois… ce rappelle la forme d’une guillotine.En passant la tête dans le casque, la tête posée sur le panneau, on est surpris par un bruit crispant, glaçant. Il fait noir, on n'y comprend rien. Ce son métallique s'arrête, et face à nous sur l'écran, une tête tombe, et avec elle le bruit étouffant de la chute. A ce moment là on ne peut s'empêcher de ressentir une effroyable stupeur, notre coeur s'arrête de battre, et notre cou?La tête est fausse, c'est un mannequin de cire sale aux cheveux mal taillés. Le son strident reprend, une autre tête tombe, toujours avec ce même bruit sourd. Mais quoi? Que se passe t-il? La scène se répète à nouveau, on est horrifié. Pourtant il n'y a pas de sang, pas de cris, rien.On est témoin d'un faux massacre, on est presque à la place de ces mannequins, on ressent une douleur non exprimée, au fond du ventre, les yeux rivés sur l'écran comme paralysé. Au fur et à mesure que les têtes tombent et forment un tas, on ne pense qu'à partir, seulement la confrontation a cette horreur masquée nous fige. En sortant enfin la tête de là, on réfléchi a pourquoi, on identifie le spectacle à la vie quotidienne: ce n'était que des têtes de femmes, la violence conjugale? Quoi? Finalement, l'artiste nous dit que c'est une réaction à la condition esthétique et matérielle -superficielle?- de la femme. On est déçu par son argumentation... Il n'empêche qu'on en frissonne rien que d'y repenser, on nous avait prévenu qu'il y faisait froid!

Touounette

 

Encore et toujours

Pour faire froid, il faisait froid. Mais pas moins quinze. Quatre ou cinq minimum, faut quand même pas exagérer.
Bon, à part ça, vous avez déçus par ce que je vous ai raconté. Tant mieux. Car si vous ne voulez pas entendre de profond amalgame entre différentes cultures, époques, milieux sociaux, etc. rien ne vaut une bonne série de conférences par de grands pontes historiens ou ethnologues. A la Sorbonne ou ailleurs. Et courage. Donc, cette confusion, je la revendique, puisqu’elle résulte d’un ensemble de perceptions de mes petits capteurs (si, si) à l’écoute du monde. L’actualité récente a encore répandu des flots d’infos, tout aussi emmêlées, à l’occasion de la journée de la femme (drôle d’idée) par exemple. Il y a quelques jours, je suis passé vers les Invalides devant un bâtiment couvert de grands calicots portant des photos sur le thème de la violence faite aux femmes. Le mélange des genres ne les embarrassait pas. Au contraire de l’universitaire, l’artiste n’expose pas de connaissances mais ce que l’on appelle (abusivement ?) une œuvre, dont le rôle n’a jamais été de donner des réponses mais de reposer des questions qui intéressent plus ou moins, parfois pas du tout. Il y a des sujets de prédilection de certains artistes qui me laissent totalement indifférent ou qui m’ennuient, comme les rapports au corps, le consumérisme, les histoires de traces, de mémoire… autant de sujets qui intéressent pourtant beaucoup de monde. Donc, dans ma vidéo de 2 minutes à voir de préférence en se pliant au dispositif du “guichet”, je me contente de montrer, au pied de la lettre, des femmes “coupables”. Ensuite, si on me demande pourquoi cette vidéo, pourquoi avec ces moyens, je trouverai à coup sûr des raisons qui ne valent qu’en fonction de mes repères. Parce qu’il y a qu’il y a, de mon point de vue, derrière tout cela, des pratiques avérées et répandues appelées discriminations, maltraitances, mutilations, assassinats, traite, esclavage…et pas seulement en Afrique ou en Inde. Le fait d’avoir utilisé des têtes aux cheveux coupés jetées sur le trottoir après utilisation en école de coiffure ne peut laisser indifférent, d’autant que je n’ai pas recherché ces objets mais qu’ils sont arrivés entre mes mains et que j’ai alors, inconsciemment, vu en eux les acteurs du film. Si le spectateur attend des réponses claires et complètes dans les 120 secondes  de la vidéo, c’est lui qui perd la tête. Qu’il n’écoute surtout pas mon argumentation, aussi foireuse qu’inutile. Qu’il crie “stop” plutôt qu’encore.  Mais j’ai bien peur que le bruit des scies ne couvre encore longtemps sa voix.

 

Jacques Maitrot

Publié dans Information

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