Un temps béni

Publié le par Le Gros Loulou

 

 

 

L’œuvre de Valérie Mréjen intitulée « Dieu », est une vidéo dans laquelle se succèdent des témoignages d’Israéliens, anciennement très religieux, voire intégristes pour certains, ayant vécu l’expérience de la laïcité ainsi que le bouleversement qui s’en est suivi. Tous ces récits, aussi différents soient-ils, se rejoignent en un même point : la violence avec laquelle s’est produit ce basculement de la pratique intense de leur religion à une laïcité quasi-totale. Le thème de cette biennale, « Expérience de la durée » est ici illustré à travers un paradoxe. Tous ces gens avaient jusqu’à présent une partie de leur vie extrêmement ancrée dans la religion, ils étaient habités d’une foi entière, constante, irréversible et éternelle ; paradoxalement, c’est un événement objectivement infime qui fera basculer leur vie. Pour plusieurs d’entre eux, ce fut le jour du shabbat (jour de repos hebdomadaire  pour les pratiquants du judaïsme), jour pendant lequel certaines actions sont interdites (comme gratter une allumette pour produire une flamme, allumer une lumière, ou encore danser...), que le déclic se produisit. Mais l’action par laquelle la personne a fait l’expérience de la laïcité n’était pas toujours volontaire, parfois due à un concours de circonstance ou à un oubli. Par exemple, une femme raconte qu’elle a frotté une allumette afin d’allumer une bougie en pensant que Dieu allait sortir des murs à travers les flammes et la tuer ; dans un témoignage similaire un homme raconte qu’il fut dans l’obligation d’allumer la lumière, en réfléchissant longuement à son acte, et finissant par appuyer sur l’interrupteur tout en pensant qu’il allait être foudroyé sur place par Dieu ; un autre homme raconte comment il fut prit d’une fringale et sans réfléchir avala du poulet et un yaourt, c’est après avoir mangé, qu’il se rendit compte qu’il venait d’enfreindre trois règles du shabbat : premièrement manger, puis manger de la volaille, et enfin mélanger viande et produit laitier. Ces exemples de récits témoignent de l’obscurantisme et de l’ignorance dans lesquels sont maintenus les pratiquants, et paradoxalement de quelle manière un micro événement fait basculer toutes leurs certitudes à propos de la religion. Car on peut percevoir, par rapport à cette notion de durée, que la religion maintient le pratiquant dans une extension infinie du temps, une éternité absolue dans laquelle la personne croyante n’a que de très vagues réponses quant aux questions de temps et d’espace. Dieu est omniscient et doit être craint où que l’on soit et quoi que l’on fasse, le temps est infini, toute notion de savoir est interdite, et nous sommes corps et âme dévoué à Dieu. Un homme dit que lorsqu’il était enfant, il demanda au rabbin ce qui se passerait si un jour il arrêtait de croire en Dieu, et le rabbin lui répondit qu’il deviendrait un criminel même sans avoir commis de crime physique ; comme il n’avait pas eu de véritable explication à sa demande et était gardé dans l’ignorance, il avait toujours vécu dans cette crainte de devenir un criminel jusqu’à sa propre expérience de la laïcité. Un des paradoxe provient de cette notion d’éternité, car tout d’un coup, cette temporalité infinie et étendue dans laquelle se place la religion s’annule complètement après avoir commis un ou des actes d’une durée excessivement courte, et c’est dans cette infime durée que le temps bascule, et la vie de la personne avec, car elle va découvrir en même temps que la laïcité, la rationalité de la vie dans laquelle les questions de temps et d’espace. « Où ? », « Quand ? », « Comment ? », peuvent voir une vraie réponse. Chaque acte correspond à une durée bien précise, et sa propre vie est alors elle même inscrite dans une durée rationnelle et bien déterminée et non éternelle. On peut alors ressentir dans tous ces propos que lorsque ces personnes ont basculé, elles ont alors pris conscience de tout leur être et ainsi repris possession de leur corps et de leur âme qu’elles avaient jusqu’à présent laissé à Dieu. Un homme en particulier, ayant eu une pratique très intégriste, perdit du jour au lendemain toute sa foi, et décida à ce moment là de quitter sa femme et ses enfants pour se sentir complètement libre, comme si la religion l’avait maintenu dans un carcan, et au sein d’une conception de la vie dans laquelle il n’avait pas pris de décision en tant qu’être à part entière. La religion avait comme dicté sa conduite, et lui avait dit de fonder une famille, mais de la même manière qu’un aveugle retrouve la vue, il avait alors dans une durée absolument infime repris connaissance de son être, retrouver la vue et rejoins son propre but, celui d’être libre. La vie de ces gens telle qu’ils la racontent semble avoir été divisée en deux parties, comme un avant et un après laïcité. Leur vie a été divisée en deux unité de temps différentes, l’une consacrée à Dieu et l’autre à eux-mêmes. Je trouve ce témoignage précieux, car dans la société actuelle, on parle beaucoup plus du passage de la laïcité à la religion que de  l’inverse.

 

 

 

 

Azor

 

 

 

 

 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article