Mise en abîme

Publié le par Le Gros Loulou

Actuellement une exposition a lieu au Musée National d’Art Moderne du Centre Pompidou; cette exposition s’appelle « BIG BANG ». C’est la première fois que le Centre Pompidou présente ses collections selon un parcours thématique, interdisciplinaire et non chronologique, telle la New Tate de Londres. Je me suis intéressée à une œuvre de Robert Morris faisant partie de la thématique «Construction/Déconstruction : Miroir/Entropie ». Avant toute chose, qu’est ce que ce thème ? « Créant un espace fictif, le miroir introduit un principe de désorganisation, d’entropie. Reflets échos et imitations engendrent des espaces déformés, tournoyants, instables ». Revenons à Robert Morris, qui est-il ? Né le 9 février 1931 à Kansas City, il s’est d’abord intéressé à la critique d’art puis à la danse, pour, dans les années soixante et soixante-dix jouer un rôle central dans les mouvements successifs de l’avant-garde américaine en étant l’un des artistes les plus importants du Minimal Art puis pionniers de l’Anti Form et du Land Art. L’œuvre qui nous intéresse s’intitule « Mirror ». Et de quoi s’agit-il ? D’un petit film cinématographique de 16 minutes, en noir et blanc et silencieux, réalisé en 1969. L’image est très saturée, lumineuse et contrastée. Ce film démarre avec le gros plan d’un paysage enneigé, tout est blanc sauf le noir des arbres. L’image bouge, le paysage se déforme, devient presque abstrait, on est tout de suite dans un état d’incompréhension. L’image tourne, se remue, et soudain on aperçoit une tâche noire, fixe sur le côté. Elle disparaît…puis réapparaît. Tout va si vite, mais on comprend qu’il s’agit d’un poing. Puis, un cadre, une rupture entre cette image mouvante et ce même paysage enneigé mais statique. De quoi s’agit-il ? Tout d’un coup, des jambes, puis de nouveau la main ceux-ci étant noirs contrastent avec le(s) paysage blanc, encore une fois tout ceci est ambigu. Soudain, du blanc… que du blanc, puis les mains, le paysage…Où est la réalité ? Quelle est l’image ? Qui bouge ? Le paysage en mouvement est enfermé dans un cadre, le contour est presque inexistant, comme un trou rectangulaire menant à un autre monde, ou à une autre manière de voir. On se rend compte que ce cadre est un miroir. En effet, une personne  le tient avec des gants et le fait bouger, il s’agit de Robert Morris, il l’incline légèrement pour refléter une fois le ciel, une fois la neige et les arbres. L’image que l’on perçoit est toujours en mouvement, parfois plus rapide, parfois plus lente, ceci créé une confrontation entre ces deux paysages, l’un filmé directement, il est quasi immobile, et l’autre reflété par le miroir ; on peut parler de mise en abîme. Le tournage continue, un bout de blanc et soudain on nous montre l’homme derrière la caméra, et une femme debout à sa gauche qui se concentre sur ce qu’il filme. Incompréhension…y a t il une ou plusieurs caméras ?  Où est-ce le reflet dans le miroir ?  L’image se remet à bouger un peu plus violemment, moment instable, des arbres, le ciel, passage du noir au blanc, puis le miroir s’éloigne, on distingue de mieux en mieux l’homme « maître du miroir ». Il recule et disparaît petit à petit, il se fond dans la neige. Le miroir devient presque un tableau abstrait monochrome, noir ou blanc. De cet homme, il ne reste plus que ses jambes, ses mains et sa tête recouverte d’un bonnet blanc, son torse devenu invisible, il fait partie du paysage. J’ai été très sensible à cette œuvre et à ce jeu d’illusion et de tromperie. La manière dont Robert Morris s’est servi du miroir pour transformer et décomposer l’espace réel est très intrigante, il y a l’image de la projection du film que l’on voit dans l’exposition, l’image directe du paysage que le caméraman film, puis l’image reflétée de l’espace toujours perçue par la caméra. Mais lorsqu’il s’agit de gros plan comme celui où l’on voit le caméraman et la femme, on se demande si le caméraman voit la même image que nous. De plus le film n’est qu’une solution parmi d’autres de ce que l’on pourrait voir sur place puisque les images sont celles de l’œil de la caméra, ainsi tant de points de vue et de reflets sont perdus dans l’air, ils s’échappent, et où vont-ils ? Peut-être que quelqu’un a vu la même scène sous un autre angle ? Le fait que la lumière ait été saturée simplifie les formes, et le silence accentue cette impression de film/photo/tableaux, ainsi on ne se lasse pas de le regarder. Car bien que perplexe et malgré les mouvements quasi incessants, cette œuvre, par le vide, la pureté du blanc, la simplicité du procédé, reste très épurée et dégage un sentiment de calme et de contemplation…du moins je trouve. J’ai également apprécié ce côté « caméra d’amateur » très libre et instable, même si ceci peut nous mettre mal à l’aise jusqu’à nous donner mal au cœur. C’est comme si on regarde à travers les yeux d’une personne qui est perdue, qui cherche partout autour d’elle, qui court puis arrête son attention sur quelque chose et repart. En regardant dans un dictionnaire des symboles, j’ai pensé que certains rapprochements pouvaient être intéressants à faire entre la symbolique du miroir et l’œuvre cinématographique de Robert Morris : « Speculum (miroir) a donné le nom de spéculation : à l’origine, spéculer c’était observer le ciel et les mouvements relatifs des étoiles, à l’aide d’un miroir. (…) ». Ici ce serait regarder le paysage par le biais du miroir. « Que reflète le miroir ? La vérité, la sincérité, le contenu du cœur et de la conscience (…) ». « Le miroir est en effet symbole de la sagesse et de la connaissance (…) ». Ainsi ce que l’on croit être transformation du réel est peut-être plus proche de la vérité, sans que l’on ne s’en aperçoive.

 

 

 

 

Argos

 

 

 

 

Publié dans Arts Plastiques

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